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Contes, légendes ou Histoire de Toulouse

Reine Pédauque dite

Reine aux pieds d’oison de Toulouse, capitale du royaume wisigoth

Les récits populaires ne manquent pas à Toulouse. La poésie y coule à pleins bords; on y reconnaît la patrie bien-aimée des troubadours et des jongleurs. Parmi ces récits, il en est un qui a été brodé de cent façons: c’est la légende de la reine Pédauque, la reine aux pieds d’oison, fille d’un prince païen, que saint Saturnin convertit à la foi, et qui mourut victime de la colère de son père.

On la nomme Pédauque, soit parce qu’elle aimait beaucoup les plaisirs du bain, soit parce qu’elle était d’une haute sagesse. Les pieds d’oie sont ici un symbole. Quoi qu’il en soit, il existait des restes de bains que l’on nommait les Bains de la Reine. Un aqueduc, dont on pouvait voir les ruines jusqu’en 1834, portait aussi le nom de Pont de la reine Pédauque.

Les premiers textes anciens qui l'évoquent, à l'époque de la Renaissance, font état d'une "fille de Marcellus, cinquième roi de Toulouse, nommée Austris". Selon Nicolas Bertrand (de Tolosanum Gestis publié en 1515)3, Austris était pleine de douceur, de modestie et de bonté. "Dieu ne voulut pas qu'une créature aussi vertueuse embrassât le culte païen, aussi lui envoya-t-il une lèpre hideuse".

Cachant sa maladie, Austris se tourna vers l'enseignement des saints Saturnin, Martial et Antonin d'Apamée (ou Antonin de Pamiers). Baptisée, elle guérit, mais cacha aussi sa guérison. Bertrand raconte que le roi son père lui fit construire au quartier dit la Peyralade, un magnifique palais dont une salle, dite bains de la reine, était directement approvisionnée en eau par un aqueduc. Le personnage de la reine Pédauque était semble-t-il connu des Toulousains depuis très longtemps, en ce début du XVIe siècle.

Ce souvenir ne date pas d’hier. Rabelais dit, en parlant de personnes aux larges pieds, qu’elles étaient "pattées comme des oies, et, comme jadis à Toulouse, portait les pieds la reine Pédauque".

Antoine Noguier, un autre historien toulousain, ajoute aux récits de son prédécesseur une description des bains de la reine Pédauque. Il raconte que le roi Marcellus capta une source dans l'actuel quartier Saint-Cyprien, puis fit bâtir un aqueduc pour amener ses eaux jusqu'à son palais. Il conclut en disant que Marcellus et Austris, qui est probablement la régine Pedauco, sont des personnages mythiques. Aucun Marcellus ne figure parmi les rois wisigoths de Toulouse, mais il pourrait être antérieur à leur arrivée (la chronologie est extrêmement douteuse, les trois saints cités n'étant pas contemporains). La source et l'aqueduc, aujourd'hui disparus, sont bien connus: l'aqueduc de Lardenne et le Pont Aqueduc ou Pont-Vieux. Un ensemble hydraulique (captage de sources et thermes), non loin du trajet de l'aqueduc, mais vraisemblablement indépendant, dont des vestiges subsistèrent jusqu'en 1834, s'appelait les "bains de la Régine", et plus tard "bains de la Régine Pédauque " (banhs de la regina Pedauca). Le nom gagna l'ensemble du dispositif : on parla alors de l'aqueduc de la reine Pédauque, et le pont-aqueduc qui traversait la Garonne devint le pont de la Reine Pédauque.

Eutrapel dit dans ses contes, publiés par La Herissaye, que de son temps on jurait à Toulouse par la quenouille de la reine Pédauque. Les savants se sont exercés avec acharnement sur cette reine, peu connue dans l’histoire, comme le roi d’Yvetot. Les ruines qui portaient son nom, et dont l’origine est évidemment romaine, ont donné lieu à mille conjectures et à mille dissertations. On en vint à gravement discuter sur l’existence de la reine Pédauque, et ces débats ne furent pas ce qu’il y a de moins curieux dans ce souvenir du peuple.

Selon Renée Mussot-Goulard, Pédauque est une princesse wisigothe, de la dynastie des Balthes, fille d'Alaric Ier, sœur du roi des Wisigoths Wallia et de la princesse Pélagie (femme du Comte Boniface puis d'Aetius). Elle est l'épouse de Théodoric Ier, roi des Wisigoths et lui donne deux fils Thorismond et Théodoric II, à leur tour rois des Wisigoths.

Il faut reconnaître dans le roi Marcellus des textes anciens, une allusion au dieu Mars qui est une constante des fondements de la royauté tervinge et que l'on retrouve jusque dans les champs des guerriers. Il s'agirait donc d'une allusion au roi Alaric Ier, identifié à Mars. Même si tous les rois balthes seront qualifiés par les chroniqueurs contemporains, de Mars, comme Euric par Sidoine Apollinaire.

 

Sa réputation de reine aux pieds palmés serait une mauvaise interprétation de son nom. Elle était homéenne de religion, donc hérétique pour les catholiques qui conteront son histoire, et le dessin du pied palmé étant un signe distinctif du Moyen Âge pour désigner les exclus ou les marginaux, cette particularité corporelle lui serait ajoutée à tort.

Le docteur Chabanel, curé de l’église de Notre-Dame de la Daurade à Toulouse, a pensé que la reine Pédauque n’était autre chose que Ranahilde ou Ranachilde, épouse d’Euric, roi des Wisigoths. L’abbé Lebœuf a intitulé une dissertation sur ce sujet: Conjectures sur la reine Pédauque, où l’on recherche quelle pourrait être cette reine, et à cette occasion ce qu’on doit penser de plusieurs figures anciennes prises jusqu’à présent pour des figures de princes ou de princesses de France. Ce titre est par lui-même assez divertissant.

Mabillon a voulu voir dans Pédauque ni plus ni moins que "sainte Clotilde, épouse de Clovis Ier". Il ajoute cependant, dans l’intérêt des charmes de la sainte, qu’ " on ne trouve rien dans les monuments historiques qui donne lieu de juger que Clotilde ait eu ce défaut corporel, mais ce devait être un emblème employé par les sculpteurs pour désigner la prudence de cette princesse, parce que les oies du Capitole furent regardés comme le symbole de la vigilance. "Cette bienveillante supposition n’a pas paru suffisante à l’abbé Lebœuf; il s’est vu obligé de remarquer que sainte Clotilde était représentée sur le portail de l’abbaye Saint-Germain-des-Prés sans cette difformité; il se range à l’opinion du curé Chabanel, et pense que Ranahilde et Pédauque c’est tout un; car, dit-il, le mot rana, en latin, veut dire grenouille: or, grenouille et Pédauque sont identiques. Alors arrive un commentateur qui affirme gravement que grenouille et femme aux pieds d’oison n’ont jamais signifié la même chose.

Une légende dit que la reine Pédauque possédait une quenouille merveilleuse, qui ne s'épuisait jamais, lui permettant de filer sans cesse. Frédéric Mistral (Trésor du Félibrige) cite Rabelais, donnant comme juron toulousain" par la quenouille de la reine Pédauque". Rabelais, décrivant des adversaires aux pieds larges : " et estoient largement pattez, comme sont des Oyes, et comme jadis à Tholose les portoit la royne Pedaucque ".

Mistral cite un autre dicton: "du temps que la reine Pédauque filait", pour parler du "vieux temps". Mais il cite aussi "du temps que Berthe filait", évoquant Berthe, épouse de Boson, comte d'Arles au Xe siècle. D'autre part, le filage est une des activités des bergères, saintes ou pas, et la quenouille leur attribut principal.

Le même abbé Lebœuf trouve plus bas que notre reine pourrait bien être la reine de Saba; il se fonde sur Nicolas Bertrand et Noguier, vieux chroniqueurs, qui appellent Pédauque Austris; et sur ce passage de l’Évangile, "la reine du Midi (en latin Austris) est assise en jugement. "Il cite aussi le second paraphraste chaldéen, où il est dit que la reine de Saba aimait beaucoup le bain. Un autre prétend que, par le nom de reine Pédauque, on a voulu désigner la reine Constance, femme du comte Raymond V.

Tous ces savants ont vu sur divers tombeaux, sur des portails de quelques églises, des statues aux larges pieds, dans lesquelles ils n’ont pas manqué de voir la reine aux pieds d’oison. Le commentateur qui réfute cette assertion termine par cette précieuse réflexion: "Les prétendues pattes d’oies, vues par Boissonade, Rivalz, Arcis et Comouls, et que M. de Montégut a pris (sic) pour des arbres, sont des draperies RELEVÉES AVEC ART. "Ce trait vaut bien la reine de Saba.

Un poète conçut pour cette reine imaginaire une violente passion, dont l’histoire est assez curieuse. C’était au commencement du XVIIIe siècle. L’époque est à noter. Le grand roi venait de mourir; tout se préparait pour les orgies de la régence. Les grands seigneurs déposaient le masque de la dévotion qu’ils avaient trouvé si lourd; les belles dames mettaient du rouge et agrandissaient leurs paniers. La société française se jetait dans cette voie de folies, de sarcasme et de scepticisme, qui devait aboutir au cataclysme révolutionnaire. C’était là un moment peu propice aux amours chevaleresques, aux contemplations platoniques d’un idéalisme passionné. Ce fut pourtant alors que naquit le romanesque amour dont nous allons faire l’histoire.

 Notre amoureux se nommait Nicolas de Boissonade. On se le figure volontiers demi-savant, demi-poète, tendre et mystique, naïf et rêveur, peu propre aux investigations positives, le cœur et l’esprit tournés vers les saintes choses du passé. Il était né dans un hameau languedocien, et son enfance avait été bercée par les chants des troubadours. Bientôt il part pour Toulouse. Toulouse, la cité d’Isaure; Toulouse, la sainte, la poétique, la savante. Il est saisi d’enthousiasme et de respect à la vue de la ville où tout parle à son cœur et à son imagination.

Mais, hélas! les traditions du passé ne servent qu’à lui faire éprouver de rudes déceptions. Il veut chanter, le pauvre enfant ! A la place des gais trouvères, il ne rencontre que de graves figures du parlement, tristes et sévères, qui se dérident à peine aux séances académiques. Il va frapper à la porte des vieux manoirs, on ne saurait l’entendre; il cherche des chevaliers, il ne trouve que de jeunes seigneurs qui parlent de la cour, des orgies du Palais-Royal, de la magnificence de monseigneur le régent. Il ne comprend rien, ni à la triste austérité des uns, ni à la bruyante folie des autres.

Que deviendra notre poète? Le présent le repousse; il ne vivra que du passé. Il va donc chercher la véritable poésie, là où elle était, dans les rangs du peuple qui n’avait pas abjuré ses croyances, qui aimait, chantait et priait encore comme aux anciens jours. Peut-être, par une belle soirée de printemps, sur les rives verdoyantes du fleuve, peut-être entendit-il murmurer pour la première fois le nom poétique d’Austris ! Peut-être le trouva-t-il dans quelque vieux livre, dans la légende de Bertrand.

 

Ce ne fut d’abord qu’une fantaisie d’artiste; ces chants, qui s’adressaient à Austris, rêvaient sans doute une réalité plus positive. Puis la passion grandit; celle qui n’en était que le prétexte en devient le but. Austris n’est plus un ange; c’est une femme, une reine; une femme qu’on aime, une reine persécutée, tout ce qui peut justifier le culte et la passion d’un poète.

Cependant, un véritable amour ne saurait rester inactif. Boissonade est heureux; il sait qui chanter dans ses vers, qui implorer dans ses rêves; mais l’objet de son culte est une abstraction pour la foule. Il faut qu’il place sa reine sur un piédestal d’où on l’aperçoive, il faut qu’il la fasse revivre pour tous, afin qu’elle soit vénérée de tous. Ici commence une nouvelle phase de cette touchante passion. Le savant a remplacé le poète.

Boissonade avait lui dans Chabanel que le tombeau de sa chère princesse était placé dans le cimetière de la Daurade. Constater cette circonstance, c’était constater l’existence d’Austris. Boissonade présenta donc une requête aux capitouls à l’effet d’obtenir qu’un peintre et un sculpteur, habiles antiquaires, fussent chargés, en présence de ces magistrats, de faire un dessin du tombeau, qui, joint à une description et accompagné d’un procès-verbal, serait déposé dans les archives de la ville. Les capitouls acceptent; mais ils décident que la vérification sera faite aux dépens de Boissonade. Dignes et honnêtes capitouls qui veulent bien faire quelque chose pour la poésie, mais qui ne veulent pas que les deniers de leur ville en souffrent.

Pont vieil dit de Pédauque, à Toulouse

 Pont-Pedauque.jpg

 

 

 

 

Les cinq piles — cerclées de rouge — désignées comme " ruines du Pont vieil dit de Pedauco "

sur le plan de Toulouse en date de 1672 d’Albert Jouvin de Rochefort

Qu’importe au poète! Un poète a-t-il jamais compté en présence de sa fantaisie? On choisit donc deux hommes habiles, Rivalz et Arcis; ils examinèrent gravement le tombeau, et ils virent, dans le compartiment du milieu, une femme, dans le sein de laquelle un sacrificateur plongeait une épée, puis ils jurèrent que cela était vrai, "chacun leurs mains levées à la passion figurée de Notre-Seigneur. "Nul doute, cette femme, c’était Austris mourant pour sa foi, sacrifiée par un père barbare. De plus, ils reconnurent à cette femme des pattes d’oie; c’était la reine aux pieds d’oison.

Qu’on se figure la joie de notre poète! L’existence de celle qu’il aime est légalement constatée; voilà un témoignage de ses vertus et de son sacrifice. Pygmalion a animé sa statue. Ici se perdent les traces de Boissonade; mais qu’avait-il à désirer de plus ? Retourna-t-il dans son modeste hameau ? Rencontra-t-il la réalité de son rêve ? Austris se fit-elle femme ? Nul ne le sait. Cependant les bruits du monde devenaient menaçants; le peuple commençait à s’agiter comme les flots d’un mer orageuse. Le mouvement du siècle emporta le souvenir de notre poète. Hélas ! il a étouffé d’autres renommées plus éclatantes; il a fait tomber la sublime tête du poète qui se frappait le front en regrettant l’avenir qui lui échappait. Boissonade fut plus heureux; il dut mourir dans une douce obscurité, avant que le bruit des trônes qui s’écroulaient vînt le troubler dans son bonheur.

Voilà sans doute le plus touchant épisode de l’histoire de la reine aux pieds d’oison. Nous ne saurions finir sans citer la légende qui inspira peut-être au poète Boissonade l’amour qu’il conçut pour Austris. Nous la trouvons dans un vieux chroniqueur, nommé Nicolas Bertrand; elle est en latin. En voici une traduction, qui date du XVIe siècle, et qui reproduit fort bien la naïveté de l’original.

"Marcellus, fils premier de Thabor, fut roi cinquième de Toulouse, lequel eut une belle-fille autant douce et aimable, que le père était austère et cruel, laquelle était appelée Austris; et pour ce qu’elle était unique, elle était merveilleusement aimée des Toulousains; mais Dieu voyant qu’elle n’était pas chrétienne, et que c’était dommage qu’une si bonne créature fût perdue par faute de foi, il lui envoya la lèpre, de laquelle fut bientôt atteinte et maculée, mais avec ses beaux parements, tout de pourpre, drap d’or et autres, tenait la maladie secrète; et cependant la dite vierge ouït parler des vertus et miracles des saints Saturnin, Martial et Antonin de Pamyès, lesquels prêchaient des vertus divines à Toulouse.

"Et fit venir la dite vierge, saint Martial avec autres saints hommes, demanda santé au nom de la Passion de Notre-Seigneur Jésus-Christ, et promit recevoir baptême, si elle peut recouvrer santé, pour laquelle chose priait Dieu, mais secrètement pour éviter la fureur de son père Marcellus; et la dite vierge désirant être en lieu solitaire, pour plus cordialement vaquer à l’oraison, disait que c’était chose déshonnête que les femmes eussent conversation avec les hommes; et pour ce fit tant par ses prières à son père, qu’il lui fit faire à Saint-Sabran un beau logis, en la rue qu’on appelle Peyrelada, et fit faire sur Garonne un pont et belles colonnes de pierres, et faisait entrer l’eau par lieux souterrains dedans la maison d’Austris, et si en avait grande affluence que là furent faits des bains, lesquels on appelait les bains de la Régine.

"D’aucuns disent que c’était la Régine Pédauque. La dicte Austris fut longtemps en ce beau logis, jaçait que Marcellus l’eut fait faire pour plaisir et volupté, ce nonobstant la dicte vierge y adorait son Créateur. Le dit lieu est maintenant appelé la Maison de Saint Jehan, autrement la Cavalaria, et en ce dit lieu trépassa la bonne vierge, et quand son père Marcellus en eut ouï les nouvelles, il alla au logis, et entre autres choses trouva une image du Crucifix, et quand il l’aperçut, il fut quasi demi-enragé et forcené, et commença à crier et lamenter pour sa fille qui avait laissé la foi de ses dieux; ce nonobstant lui fit donner une sépulture au temple de Jupiter, pour lors, lequel maintenant on appelle l’église de la Daurade“.

En 1718, on fit procéder à l'examen d'un tombeau de marbre, découvert dans l'ancien cimetière des Comtes, devenu cimetière communal de la Daurade (proche de l'emplacement de l'ancien palais des rois wisigoths); ce tombeau était supposé être celui de la princesse Austris. Les archéologues relevèrent "assez distinctement sur le haut un pied d'oyson de chaque côté". Ce sont toujours les plis de deux tentures.

La figure de la reine Pédauque liée à plusieurs personnages portant le nom de Berthe semble à l'évidence une référence à la divinité germanique Perchta équivalent de Holda ou de la déesse scandinave Freyja. Dans les pays alpins de tradition germanique (Souabe, Bavière, Autriche, Suisse, Alsace…), Perchta est une déesse d'apparences variables, parfois très belle, blanche comme la neige, ou franchement horrible, toujours dotée d'un pied d'oie ou de cygne, et souvent en train de filer, principalement pendant les douze jours d'hiver entre Noël et Épiphanie (selon la terminologie chrétienne à laquelle la tradition s'est adaptée). Son nom signifiant "brillante" ou "lumière", elle est souvent représentée par sainte Lucie.

Berthe de Souabe, dite la Filandière ou la reine fileuse, apparaît ainsi comme une personnification directe de Perchta.

Jean-Baptiste Bullet, théologien de l'Université de Besançon, échappe le premier à la sphère toulousaine. Il raconte que Robert Ier, Robert "le Pieux", roi de France, ayant épousé en 995 sa cousine Berthe de Bourgogne, fut excommunié par le pape Grégoire V. Il finit par la répudier. Mais entretemps, la légende dit que Berthe aurait mis au monde un fils doté non pas d'un pied, mais d'une tête et d'un cou d'oie: signe de malédiction du Ciel? Robert étant le protecteur de l'abbaye de Saint-Bénigne de Dijon, il y fut représenté en statue, vis-à-vis d'une statue "de la reine Pédauque". Pour justifier de la forte réputation de son nom à Toulouse, Bullet imagine une explication quelque peu forcée, où Constance d'Arles, la nouvelle épouse de Robert, cherche à tout prix à discréditer Berthe. C'est lors d'un passage qu'elle fait à Toulouse que Constance aurait baptisé "reine Pédauque" ce qui n'était qu'un pont anonyme.

Il y avait avant elle, chronologiquement, une autre "Berthe", Bertrade de Laon, épouse de Pépin le Bref. Mais sa légende est forgée tardivement, vers 1275, par le trouvère Adenet le Roi : selon lui, Berthe de Hongrie, qui a un "grand pied" (ou un pied-bot ?) doit épouser Pépin le Bref, mais au cours du voyage vers la France, sa suivante, qui lui ressemble étonnamment, la séquestre, se fait passer pour elle, et épouse le roi. Ce n'est qu'au bout de plusieurs années que Berthe fera éclater la vérité, son pied attestant de sa vraie identité. Selon la croyance de l’époque, Pépin avait déjà une épouse, qu'il répudia quand il fit venir Berthe auprès de lui. Le roman d'Adenet donnait une légitimité à l'union de Pépin et de Berthe, donc à Charlemagne.

Aux XVIIe et XVIIIe siècles, des érudits rivalisent dans les hypothèses. Le Père Mabillon, ainsi que le Père Montfaucon, penchent pour Clotilde, épouse de Clovis. L'abbé Lebeuf propose la reine de Saba, à qui Salomon aurait concédé qu'elle était une des plus belles femmes du monde, mais que "ses pieds n'y répondaient guère".

La première sainte gratifiée de cette marque est immédiatement dans la lignée de Berthe au grand pied, puisqu'il s'agit de sa propre fille sainte Isbergue, ou Ybergue, ou encore Gisèle, donc fille de Pépin le Bref et sœur de Charlemagne. Destinée à être mariée au fils du roi d'Angleterre, elle préféra suivre sa vocation religieuse et l'enseignement de saint Venant. Une lèpre soudaine vint lui couvrir le corps, mettant fin aux projets matrimoniaux, mais dans sa colère le prince anglais fit décapiter Venant. Dans la commune d'Isbergues (Pas-de-Calais), on venait prier la sainte pour guérir les maladies de peau et des yeux, à la source que saint Venant aurait faite jaillir, et qui aurait guéri Isbergue.

À partir de là, cette situation se reproduit, avec diverses variantes, pour de nombreuses saintes:

Sainte Néomoise, ou Néomaye, ou Néomoye, bergère et fileuse, mais issue d'une famille noble, convoitée par un homme, obtient un pied d'oie dont la vue fait reculer le prétendant.

Sainte Énimie, princesse mérovingienne, sœur de Dagobert Ier, est atteinte de la lèpre envoyée par Dieu pour l'écarter elle aussi d'un hymen non désiré. Elle en est guérie miraculeusement en se baignant dans une fontaine, dans le village de la Lozère qui porte aujourd'hui son nom. Elle s'y installe définitivement, fonde un couvent, combat le Drac, un monstre diabolique…

Le thème de la Reine Pédauque réunit plusieurs constantes: il s'agit d'une femme d'origine noble ou aristocratique, atteinte soit par la lèpre, soit ayant un pied palmé comme celui d'une oie, et souvent liée au thème de l'eau (les bains et l'aqueduc, les diverses fontaines et sources miraculeuses). Les divers exégètes ne se sont pas fait faute de trouver des explications plus au moins ingénieuses. La reine Pédauque aurait été une excellente nageuse, qui utilisait l'aqueduc pour aller et venir d'une rive à l'autre de la Garonne. Seul son amour immodéré des bains aurait justifié le surnom de pè d'auca. Pour d'autres, plus récents, pè d'auca est le sobriquet d'une personne boiteuse. La confusion serait alors venue d'une représentation symbolique de la boiterie, dans la statuaire, par un pied d'oie. Représentation qui aurait été prise "au pied de la lettre." Mais on sait que ce genre d'argumentation ne résiste pas à l'analyse: le terme existait bien avant toute représentation visuelle.

L'influence de la Perchta germanique, fileuse au pied d'oie, ou du moins une préfiguration de celle-ci, qui aurait été apportée par les Wisigoths, sur les variations autour de la reine Pédauque, peut être envisagée.

Le thème de la Reine Pédauque réunit plusieurs constantes: il s'agit d'une femme d'origine noble ou aristocratique, atteinte soit par la lèpre, soit ayant un pied palmé comme celui d'une oie, et souvent liée au thème de l'eau (les bains et l'aqueduc, les diverses fontaines et sources miraculeuses). Les divers exégètes ne se sont pas fait faute de trouver des explications plus au moins ingénieuses. La reine Pédauque aurait été une excellente nageuse, qui utilisait l'aqueduc pour aller et venir d'une rive à l'autre de la Garonne. Seul son amour immodéré des bains aurait justifié le surnom de pè d'auca. Pour d'autres, plus récents, pè d'auca est le sobriquet d'une personne boiteuse. La confusion serait alors venue d'une représentation symbolique de la boiterie, dans la statuaire, par un pied d'oie. Représentation qui aurait été prise "au pied de la lettre." Mais on sait que ce genre d'argumentation ne résiste pas à l'analyse: le terme existait bien avant toute représentation visuelle.

L'influence de la Perchta germanique, fileuse au pied d'oie, ou du moins une préfiguration de celle-ci, qui aurait été apportée par les Wisigoths, sur les variations autour de la reine Pédauque, peut être envisagée.

Dans son roman La Rôtisserie de la reine Pédauque, Anatole France résume assez bien la diversité des aspects de ce personnage: [Les savants] ont reconnu Ma Mère l'Oie dans cette reine Pédauque que les maîtres imagiers représentèrent sur le portail de Sainte-Marie de Nesles dans le diocèse de Troyes, sur le portail de Sainte-Bénigne de Dijon, sur le portail de Saint-Pourçain en Auvergne et de Saint-Pierre de Nevers. Ils ont identifié Ma Mère l'Oie à la reine Bertrade, femme et commère du roi Robert; à la reine Berthe au grand pied, mère de Charlemagne; à la reine de Saba, qui, étant idolâtre, avait le pied fourchu ; à Freya au pied de cygne, la plus belle des déesses scandinaves; à sainte Lucie, dont le nom était lumière. Mais c'est chercher bien loin et s'amuser à se perdre.

 

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