Président, Cœur de Lion, Le Rustique…: pourquoi le camembert est menacé
Produit en Normandie et avec du lait normand, les camemberts Président, Cœur de Lion, Le Rustique… n’ont plus le droit de faire référence à leur région de production sur les boites d’emballages. Au risque de faire chuter les ventes en France et surtout à l’export.
Par Marie de Greef-Madelin – Valeurs Actuelles
En Roumanie, le fromage français a un tel succès que l'on trouve des pseudos camemberts, voire des contrefaçons produits sur place.
La justice française veut-elle la peau – ou plutôt la croûte – du camembert? La décision de la cour administrative de Nantes d’interdire toute référence à la Normandie sur les emballages de camembert pasteurisé relance le débat sur l’excès de réglementation qui menace les entreprises françaises. Désormais, seuls les camemberts au lait cru bénéficiant de l’Appellation d’Origine Protégée sont autorisés à mentionner l’origine normande du fromage dans leur publicité ou sur les boîtes d’emballage.
En ligne de mire, le leader Lactalis avec son fromage Président (500 000 camemberts produits chaque jour dont un sur cinq pour l’export), suivi du numéro deux Savencia avec ses marques phares Cœur de Lion et Le Rustique… Ces fromages sont pourtant tous fabriqués en Normandie (Domfront pour Lactalis, Vire et Ducey pour Savencia), avec du lait normand, thermisé ou pasteurisé, contrairement aux fromages de l’AOP dont le lait cru n’est pas chauffé.
QUATRE ANS DE BATAILLE JURIDIQUE
Pour comprendre cette guerre du camembert, il faut remonter au 1er janvier 2021 et à la décision de la Direction Générale de la Consommation, de la Concurrence et de la Répression des Fraudes (DGCCRF), suite à une directive européenne, d’exiger que la mention « fabriqué en Normandie » soit réservée aux fromages AOP "au lait cru, moulés à la louche, issu au moins de 50% de vaches normandes, d’une durée de pâturage de six mois".
Pour l’organisme chargé de la répression des fraudes, les industriels sont accusés de "mettre en exergue des symboles de la Normandie pour induire en erreur le consommateur". Aussitôt, Lactalis et la coopérative Isigny Sainte Mère ont formé des recours en annulation, rejetés le 22 juillet 2022 par le Conseil d’Etat. Le 12 février 2024, le tribunal administratif de Rouen leur a accordé un répit. Jusqu’à la décision de la cour administrative de Nantes.
Dans sa bienveillance, la cour autorise les industriels à mentionner en petits caractères au dos de la boîte "camembert élaboré avec le lait de nos producteurs normands", ou encore "lait 100% normand" ou "lait d’origine: Normandie".
Créé en 1968 par Michel Besnier, père de l’actuel président de Lactalis, le camembert pasteurisé répond à un strict cahier des charges sanitaires : la pasteurisation permet notamment de tuer les bactéries, telles que la listeria monocytogène, la salmonella, ou encore e.coli, là où l’absence de chauffage rend possible la présence de ces bactéries dans les fromages au lait cru. C’est pour cette raison qu’il est déconseillé aux femmes enceintes et enfants de moins de cinq ans de consommer les camemberts au lait cru non pasteurisé.
Pour les industriels, la décision du tribunal de Nantes laisse craindre une forte baisse des ventes, notamment à l’export où l’identité visuelle du camembert de Normandie est connue.
"Ça pue, toutes ces réglementations", lâche un représentant du secteur. Une crainte d’autant plus importante que le marché est en perte de vitesse depuis les années 1980.
Dans notre beau pays aux 1000 fromages, les ventes de mozzarella ont dépassé pour la première fois en 2021 celles du camembert. Seul espoir, selon le journal les Echos, Lactalis réclame la cassation de l’arrêt et s’apprête à porter l’affaire devant le Conseil d’Etat.