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L'art et la manière de vous faire manger ou vivre n'importe quoi, n'importe comment

Empreinte carbone : une opération de culpabilisation

"Si tout le monde vivait comme vous…" Qui n’a jamais entendu ça de la part des écolos?

Par Stéphane Montabert, depuis Renens, Suisse.

Qui n’a jamais entendu pareille critique, destinée à culpabiliser le chaland sur son mode de vie? Ce concept a été popularisé et officialisé à l’échelle mondiale par le Club de Rome puis les écologistes à travers l’empreinte carbone – le "poids écologique" que chacun ferait peser sur l’environnement.

L’idée revient à dire que chaque steak que nous mangeons, chaque pneu que nous usons, chaque kilowattheure que nous consommons vient forcément de quelque part. En utilisant des indicateurs plus poussés, par exemple la surface agricole nécessaire à la croissance du bœuf à l’origine dudit steak, on peut théoriquement déterminer la quantité de ressources nécessaires au train de vie de chacun.

Autant l’avouer tout de suite, le concept n’a pas le moindre sens académique et encore moins de calculabilité. Comment tenir compte de la qualité des semences, des engrais employés dans la production agricole? Comment évaluer la quantité de pétrole présente dans la croûte terrestre alors que les réserves augmentent continuellement du fait des avancées technologiques? Comment calculer l’empreinte carbone d’une séance de cinéma? Comment évaluer, même, ce que la Terre serait capable ou non de supporter? Il paraîtra évident à tout le monde – sauf aux écologistes et aux membres du Club de Rome naturellement – que la Terre de 2014 permet de subvenir aux besoins de ses milliards d’habitants bien mieux que n’importe quelle époque précédente. Le progrès technologique et l’inventivité humaine font partie des quelques variables laissées de côté.

Qu’importe à nos écologistes de combat. Ils ont devant eux un fantastique outil marketing et n’hésitent pas à s’en servir, grossissant le trait au besoin. Pour obtenir une culpabilisation de masse, on ne va pas faire dans le détail, n’est-ce pas?

Le site du WWF EcoGuru permet donc ainsi à tout-un-chacun de mesurer sa fameuse" empreinte écologique". C’est mignon tout plein avec des arcs-en-ciel et des nuages et une petite Terre heureuse quand il n’y a pas trop d’humain dessus…

Je me livre à l’exercice. Pays, Suisse. Je choisis ensuite "calculate your footprint" et réponds à une série de 11 questions. Et à la fin, le score final tombe, forcément mauvais :

Je me doute bien que je suis un piètre écologiste – ne serait-ce que parce que j’ai eu l’impudence de faire des enfants. J’essaye tout de même quelques efforts dans la mesure de mes moyens. Mais le papier recyclé, voyez-vous, je ne fais pas vraiment attention. Est-ce tellement important? Les questions sont pour le moins étonnantes, et laissent pour la plupart une certaine marge d’interprétation. C’est de bonne guerre, mais bon, obtenir à partir de cela un score précis au dixième de Terre laisse songeur – comme quelqu’un essayant au billard un coup en trois bandes en se servant, pour viser, des indications de son horoscope.

Mais imaginons un instant que je sois un être écologiquement supérieur comme ceux que nous entendons parfois – d’insupportables donneurs de leçons qui prétendent vivre d’eau claire et de soleil, comme de belles plantes vertes. Se faire passer pour un écologiste parfait est assez facile sur le site du WWF puisque l’ordre des réponses est toujours le même, la meilleure étant en haut. On apprendra ainsi qu’un écologiste parfait :

◾Vit dans un" petit appartement" (sauf exception);

◾… Lequel a une excellente isolation;

◾… Et se chauffe à l’électricité "verte";

◾Mais il utilise "peu" l’électricité par ailleurs;

◾N’emploie que du papier recyclé;

◾Ne mange que de la nourriture végétale fraîche et de saison, produite localement, et jamais viande ni poisson;

◾N’utilise pas ou "très peu" son éventuelle voiture;

◾N’utilise jamais les transports en commun;

◾Reste chez lui pour les vacances.

 

Triste existence. Décidément, l’image de la plante verte n’avait finalement rien d’excessif.

Pourtant l’écologiste parfait (s’il existe) aura tout de même la surprise de constater que son comportement exemplaire lui fait encore une empreinte carbone d’environ 1 Terre, selon le nombre de personnes qu’il torture avec qui il partage son domicile.

Comparé aux "statistiques mondiales", le résultat fait hausser le sourcil. Comment ces diables d’Asiatiques peuvent-ils être à 0,7 alors que, dit-on, les Japonais osent manger du poisson? Et les Philippins sont-ils donc de si grands consommateurs d’électricité "verte"?

La bizarrerie est rapidement éclaircie en retentant le test selon différentes régions: les résultats sont pondérés par pays.

Si vous êtes un écologiste parfait en Suisse, vous tournerez avec environ une Terre. Mais si vous êtes un écologiste tout aussi parfait aux États-Unis, pas de bol, vous aurez tout de même une empreinte de 1,6 planète. Culpabilité collective, dirons-nous. À l’inverse, le même comportement au Yémen limitera votre empreinte carbone à 0,4 planète, ce qui laisse de la marge pour quelques excursions en business class à divers Sommets de la Terre.

Évidemment, je suppose que peu de Yéménites ont une maison avec une excellente isolation, la chance d’avoir des transports en commun ou même un accès à l’énergie verte – pour les veinards qui parviennent déjà à avoir l’électricité. Mais ce n’est pas un problème pour le WWF et son "calcul d’empreinte": vivons tous comme des Yéménites et la Terre sera sauvée !

D’une certaine façon, il est plus facile d’avoir un comportement écologiquement adéquat lorsque votre environnement vous force à vivre comme un animal. La pauvreté nous ramène à l’état de nature. En termes de protection de l’environnement, c’est plutôt démenti par les faits mais le WWF n’en a cure; il n’hésite pas à forcer cette conclusion en biaisant ses calculs selon la richesse du pays habité. Vivre de façon écologique revient avant tout à vivre dans un pays pauvre. Le comportement individuel n’intervient qu’après.

De cette constatation découle une conséquence pratique : il est beaucoup plus facile de ruiner un pays que d’éduquer les consciences de toute une population.

Et voilà expliqué, d’un seul coup, le positionnement politique des élus écologistes, et tout est beaucoup plus clair.

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