Qui aurait pu hier se douter de l’avenir commercial quasi-planétaire du sapin de Noël? Ni Martin Luther qui l’éclaira de chandelles pour célébrer la naissance de Jésus ni même, beaucoup plus tard, le Prince Albert qui décora l’arbre de Noël du Château de Windsor. Comment imaginer à ces époques reculées qu’il serait un jour cultivé au Danemark pour l’exportation, transporté par hélicoptère en Oregon et fabriqué en plastique par la Chine? Faisons un tour joyeux de cette manifestation symptomatique de la croissance de l’économie de marché et du commerce international. Vous pourrez alors mieux choisir entre sapin naturel et artificiel, entre consommation locale et globale.
LA FAMEUSE CHANSON
La légende veut que Martin Luther, se promenant en forêt la veille de Noël, ait entre-aperçu les étoiles briller à travers les branches d’un sapin. Il coupa un jeune arbre, le ramena à la maison, y posa des bougies et conta à son fils qu’il lui rappelait Jésus quittant les astres pour rejoindre la terre des hommes.
Depuis, dit-on, le sapin du Moyen Age autour duquel les villageois dansaient quitta les places publiques pour gagner l’intimité des foyers allemands, puis des autres pays protestants. Il arriva en Grande-Bretagne au milieu du XIXe siècle. Il y devint populaire grâce au Prince Albert, l’époux saxon de la reine Victoria, la presse people de l’époque suivant déjà les faits et gestes de la famille royale.
Mais cette origine anticatholique du sapin de Noël at home se mélange à bien d’autres. C’est comme le père Noël, une invention qui réunit caractères archaïsants et croyances de toutes sortes et dont les autorités ecclésiastiques se sont aujourd’hui accommodées. Sachez tout de même qu’en 1951 encore, un (faux) père Noël a été pendu sur le parvis de la cathédrale de Dijon, fait divers dont s’est emparé Claude Lévi-Strauss dans un petit texte d’une intelligence pétillante et profonde.
Que vous le considériez indispensable de la fête du solstice d’hiver ou comme un symbole de la Nativité, il y a des chances que vous achetiez encore un sapin cette année.
NORDMANN DANOIS
Votre sapin proviendra-t-il du royaume du Danemark? Pourquoi de ce pays? Parce qu’il y est cultivé à grande échelle et que le Danemark est le premier exportateur européen. Parenthèse avant d’aller plus loin: l’arbre de Noël n’est plus aujourd’hui prélevé en forêt, il est devenu agricole.
Si jamais une telle inquiétude vous avait traversé l’esprit, ne craignez pas d’appauvrir la forêt en achetant un sapin naturel.
C’est bien d’ailleurs parce qu’il n’est pas forestier que le sapin de Noël ne vient pas de Norvège ou de Suède, pays aux vastes ressources ligneuses et aux grandes industries du bois. En plus, à cause des conditions climatiques, il y pousserait moins vite et gèlerait souvent sur pied.
Deux chiffres: le Danemark produit une dizaine de millions de sapins de Noël chaque année pour une consommation intérieure dix fois moindre. Leur culture s’est révélée attractive dans les années 1990 avec l’entrée du Royaume dans l’Union européenne et son système de subventions agricoles.
Les cultivateurs danois ont aussi pris très tôt le virage du sapin de Nordmann (Abies nordmanniana). Vous savez, celui qui une fois coupé garde longtemps ses aiguilles mais n’embaume pas la pièce d’une délicate odeur de miel et de résine contrairement à l’épicéa (Picea abies).
Plus cher, il a cependant conquis le cœur des Français. En l’occurrence plutôt des Françaises car si les femmes consacrent 45 minutes quotidiennes au ménage, les hommes sont à 15. Pratiquement absent des foyers modernes des années 1960, le Nordmann a progressivement imposé ses cônes dressés et son feuillage à revers argenté.
Extrait de l’étude Kantar pour Val’hor et France AgriMer " les achats de sapins de Noël en 2018 ". TNS Sofres
HAUTEUR ET PRIX DU SAPIN
Pas d’hésitation entre l’achat d’un arbre de Noël plus petit mais moins cher ou plus cher mais plus grand.
SAPIN NATUREL VS SAPIN FACTICE
Son prix avantageux – une utilisation pour deux Noël suffit à le rendre moins coûteux – ne semble pas la principale raison de cette croissance. Sa baisse n’entraîne d’ailleurs qu’un très faible effet de report sur l’achat de sapin naturel. C’est plus la commodité (pas d’aiguilles à balayer, pas de trajet chaque début décembre pour se le procurer) qui est à l’origine de son succès outre-Atlantique.
Sa part reste en revanche stable en France, autour de 20% des sapins de Noël achetés chaque année. Ce qui est une bonne nouvelle pour les producteurs nationaux car par ailleurs les importations du Danemark ou d’ailleurs ne représentent qu’un cinquième des volumes.
Les Français semblent rester attachés au sapin en bois d’origine locale.
Le mieux: optez pour le sapin naturel dès lors que vous ne le jetterez pas à la poubelle, mais le déposerez à un point de collecte ou dans une déchetterie près de chez vous. Si vous avez un doute achetez un sapin Label rouge il viendra de France ou un sapin bio, plus vert encore.
Et puis, ne faites pas comme le petit sapin envieux et grincheux du conte d’Andersen qui ne sait pas profiter des instants présents. Passez donc de joyeuses fêtes de Noël avec ou sans arbre décoré de guirlandes chinoises.
A SUIVRE: le conte d'Andersen
Le Sapin
Hans Christian Andersen (1844)
Dans la forêt croissait un joli petit sapin. Il avait une bonne place: le soleil et l’air y arrivaient en abondance. Autour de lui se trouvaient de grands camarades, des pins et des sapins. Mais le petit sapin était si impatient de grandir qu’il ne prenait point plaisir aux jeux de lumière du soleil, ni au chant et aux mouvements des oiseaux, ni aux nuages flottants qui passaient au-dessus de lui, roses le matin, rouges et pourpres le soir.
Quand des paysans passaient avec leurs fagots, il les écoutait parler des grands arbres qu’ils avaient abattus, et il soupirait après le jour où il serait assez grand pour être coupé aussi.
L’hiver venu, la neige couvrait le petit sapin; le lièvre sautait par-dessus lui, ce qui lui était fort désagréable; mais deux hivers passèrent, et au troisième, il était déjà si grand que le lièvre devait le contourner.
" Oh! grandir, grandir, devenir grand et vieux, c’est la seule chose qui compte au monde! " pensait le sapin.
À l’automne, les bûcherons venaient abattre les plus grands arbres. Cela arrivait chaque année, et le jeune sapin, devenu assez grand maintenant, tremblait d’émotion; car ces arbres magnifiques tombaient avec fracas et étaient emportés hors de la forêt. Où allaient-ils? Que devenaient-ils?
Au printemps, quand les hirondelles et les cigognes revinrent, le sapin leur demanda:
" Savez-vous où l’on emporte ces arbres? Les avez-vous vus quelque part? "
Les hirondelles n’en savaient rien, mais la cigogne réfléchit, hocha la tête et dit:
" Oui, je crois bien. J’ai vu bien des navires nouveaux quand je volais vers l’Égypte. Ces navires avaient de magnifiques mâts, et je parierais que c’étaient eux. Ils sentaient le sapin".
" Oh! si j’étais assez grand pour voguer sur la mer! " soupirait le petit arbre.
Puis vint Noël. Le sapin était alors très grand, si grand qu’il n’était plus possible de le contourner. Un jour, des hommes arrivèrent avec une hache et une scie. Le sapin tomba à terre avec un cri; il ressentit une douleur aiguë, comme un évanouissement. Il fut transporté hors de la forêt, placé sur une charrette, et conduit en ville.
Dans une belle maison, on le dressa dans une grande salle. On le décora de pommes dorées, de pains d’épices, de jouets, et l’on fixa sur ses branches des centaines de petites bougies. Jamais le sapin n’avait vu pareille splendeur. Les enfants dansaient autour de lui en criant de joie; le soir, on alluma les bougies, et le sapin brillait de mille feux.
" Oh! que je suis heureux! " pensait-il". Jamais je n’ai connu pareille journée. Que se passera-t-il demain? "
Mais le lendemain, on ôta les bougies et les décorations. Le sapin fut relégué dans un coin, puis porté au grenier, sombre et poussiéreux. Là, il resta longtemps, oubliant la forêt, les oiseaux, le soleil et les nuages roses.
Enfin, on le descendit de nouveau. Il fut fendu en morceaux et jeté au feu. Il crépita et brûla; ses dernières étincelles montèrent vers le ciel comme de petites étoiles.
Alors le sapin comprit qu’il avait laissé passer le bonheur quand il l’avait eu.
Il songea aux jours lumineux de la forêt, aux chants d’oiseaux, aux nuages rouges du soir — et il se consuma entièrement.