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histoire - Page 5

  • À quoi ressemblaient les premiers restaurants?

    Le concept même de restaurant connaît aujourd’hui des changements majeurs avec le "click et cueillette" et les "cuisines fantômes". Avec ces nouvelles façons de se restaurer, le consommateur tend à s’éloigner du lieu physique que constitue le restaurant. Ces bouleversements interrogent son identité même nous invitent à nous questionner sur ses origines.

    Le mot restaurant, avec le sens que nous lui connaissons aujourd’hui, a été validé par l’académie française en 1835. Jusque-là, le "restauran", aussi appelé "bouillon restaurateur", désigne un plat composé principalement, au gré des recettes, de viande, d’oignons, d’herbes et de légumes. Il s’agit d’un bouillon aux vertus médicinales et digestives dont le but initial est de redonner des forces aux personnes faibles, de les "restaurer". Le terme "restaurant" a donc initialement une connotation médicale. D’ailleurs, les lieux qui les proposent à la vente dans les années 1760 se nomment aussi " maison de santé ".

    Le premier restaurant

    Le premier restaurant tel que nous l’entendons aujourd’hui a ouvert ses portes à Paris, en 1765, rue des Poulies, l’actuelle rue du Louvre. Sur le devant de la boutique est gravée la phrase latine issue de la Bible: " Venite ad me omnes qui stomacho laboratis, et ego vos restaurabo". "Venez à moi, ceux dont l’estomac souffre, et je vous restaurerai". C’est de là qu’est venu le terme "restaurant". Son propriétaire se nomme Mathurin Roze de Chantoiseau.

    D’autres écrits évoquent un certain Boulanger. Quoi qu’il en soit il vend des mets "restaurans" tels que la volaille, les œufs, les pâtes au beurre, les gâteaux de semoule, dont on disait que la couleur claire possédait des vertus bénéfiques pour la santé. Ce lieu est aussi un des premiers à connaître un certain succès culinaire grâce à la "volaille sauce poulette" réputée dans le Tout-Paris.

    Diderot, le mentionne dès 1767 dans une lettre adressée à Sophie Volland:

        "Si j’ai pris du goût pour le restaurateur? Vraiment oui ; un goût infini. On y sert bien, un peu chèrement, mais à l’heure que l’on veut. […] Cela est à merveille, et il me semble que tout le monde s’en loue".

    L’écrivain Édouard Fournier relate d’ailleurs l’apparition de ce restaurant dans l’ouvrage Paris démoli, publié en 1853:

        "Tout près de là, dans la rue des Poulies, s’ouvrit, en 1765, le premier Restaurant, qui fut ensuite transféré à l’hôtel d’Aligre. C’était un établissement de bouillons, où il n’était pas permis de servir de ragoût, comme chez les traiteurs, mais où l’on donnait des volailles au gros sel, des œufs frais et cela sans nappe, sur de petites tables de marbre".

    Dans ces années qui précèdent la Révolution française, Mathurin Roze de Chantoiseau est le premier à proposer le concept novateur qui consiste en un service sans horaire fixe, sur une table individuelle et à offrir un choix de plats dont le prix est indiqué à l’avance, devant le restaurant. À cette époque, en France, le seul endroit où l’on peut manger en dehors de chez soi est la taverne ou l’auberge.

    Or ces lieux ne proposent que des tables d’hôtes avec un plat unique, au prix non fixé à l’avance, dans lesquels on ne vient qu’à heure fixe. De plus, la qualité n’est pas toujours au rendez-vous. Les personnes qui se rendent dans ces lieux le font pour se nourrir et non pas pour apprécier les qualités gustatives d’un plat. Les rôtisseurs et les traiteurs présents aussi à l’époque ne peuvent vendre que des pièces entières et non pas des portions individuelles.

    Cette nouvelle façon de se nourrir, proposée par Mathurin Roze de Chantoiseau, connaît un très grand succès, et ce style de restaurant va se répandre tout en évoluant. La notion de plaisir de manger va devenir prépondérante et la gastronomie va alors se développer, voire, dans une certaine mesure, se démocratiser. Jusqu’alors, les seules personnes qui mangeaient très bien en France étaient les membres de la cour à Versailles ou les nobles car ils disposaient de leurs cuisiniers personnels.

    Les nouveaux restaurants et l’apparition du menu

    À la veille de la Révolution française, sur la centaine de restaurants recensés dans la capitale, de nombreuses enseignes sont fort renommées. Les clients ne viennent plus dans ces lieux pour manger des plats reconstituants mais pour déguster des mets qui charment leurs papilles. Le restaurant d’alors est un endroit luxueux que l’on trouve principalement dans le quartier du Palais Royal. En effet, réside ici une clientèle capable de s’offrir des repas qui, s’ils ne sont plus réservés aux aristocrates, n’en demeurent pas moins onéreux. C’est donc une élite aisée qui les fréquente.

    La grande nouveauté des restaurants d’alors est le menu. Les restaurants proposent très souvent un choix incalculable de plats. Le menu a donc été inventé car "il ne propose qu’un "menu" aperçu de la prodigalité de l’établissement" comme l’écrit l’historienne Rebecca Spang.

    Un extrait de la carte du restaurant Véry, en 1790. Bibliothèque de la Ville de Paris

    Cependant, même avec cette version " abrégée " de ce qui est offert, le client a parfois besoin de longues minutes pour le lire. D’ailleurs dans les premiers temps, son utilisation n’est pas évidente pour de nombreux clients. D’autre part, le menu permet aussi grâce aux mots qui le composent, d’éveiller des désirs et des sensations autrement que par l’odorat ou la vue et d’aiguiser l’appétit, fonctions qu’il conserve aujourd’hui.

    Antoine de Beauvilliers et le premier restaurant gastronomique

    Antoine de Beauvilliers, ancien Officier de bouche du comte de Provence, frère du roi, est le premier de sa profession à quitter son maître pour s’installer à son compte à Paris. En 1782 il ouvre, dans le quartier du Palais-Royal, rue de Richelieu, Le Beauvilliers (qui sera remplacé quelques années plus tard, toujours dans la même rue par La Taverne de Londres). Cet endroit, fort luxueux, va rapidement connaître un immense succès car il propose à ses clients – principalement des aristocrates – de manger comme à Versailles. Il y a en effet un cadre magnifique, un service irréprochable, une superbe cave et des plats exquis présentés avec soin dans une vaisselle magnifique. Pendant de nombreuses années, sa cuisine demeurera inégalée au sein de la haute société parisienne. Ce restaurant est d’ailleurs considéré comme le premier restaurant gastronomique français.

    Beauvilliers, L’art du Cuisinier, 1814. Wikimedia

    Dans les années précédant puis suivant la Révolution française, de nombreux cuisiniers, qui jusqu’alors travaillaient pour des membres de la noblesse, suivront l’exemple d’Antoine de Beauvilliers et ouvriront leur propre restaurant. C’est ainsi qu’une cuisine de qualité faite de recettes, de rites et de façons de manger, mais comprenant aussi les arts de la table passa des cuisines privées de l’aristocratie à celles, publiques, de la haute société.

    La restauration gastronomique française fait son apparition et de célèbres et luxueuses enseignes comme Véry, ou Les Trois-Frères Provençaux (qui importera à Paris la brandade de morue et la bouillabaisse) ou encore le restaurant le Grand Véfour, toujours en service aujourd’hui voient le jour. L’aspect médical des premiers "bouillons restaurans" est désormais loin et remplacé par la gastronomie, référence culturelle mondialement reconnue.

    Nathalie Louisgrand - Enseignante-chercheur, Grenoble École de Management (GEM)

    The Conversation - CC BY ND

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  • Ces aliments rois de la politique

    Des dîners en ville en pleine pandémie aux banquets républicains, l’alimentation entretient un lien étroit avec la politique.

    La table est un espace de pouvoir qui sert à mobiliser des réseaux, afficher sa puissance et porter un discours politique à travers ce que l’on mange et ce que l’on boit.

    Pour le célèbre gastronome Anthelme Brillat-Savarin

    “Les repas sont devenus un moyen de gouvernement, et le sort des peuples s’est décidé dans un banquet. Ceci n’est ni un paradoxe, ni même une nouveauté, mais une simple observation des faits. Qu’on ouvre tous les historiens, depuis Hérodote jusqu’à nos jours, et on verra que, sans même en excepter les conspirations, il ne s’est jamais passé un grand événement qui n’ai été conçu, préparé et ordonné dans les festins".

    Dès lors, au fil des siècles et des régimes politiques, des aliments et des plats ont été revêtus d’un sens politique fort dont les évolutions s’inscrivent tout à la fois dans les transformations de la gastronomie française et de l’histoire politique de la France.

    Afficher son pouvoir

    La profusion des mets est considérée pendant des siècles comme un signe évident de puissance. Sur les tables royales au Moyen-Âge, l’abondance et la prodigalité permettent au roi de montrer qu’il est le premier des seigneurs. La profusion de nourriture impose une hiérarchie. Mais, la rareté des aliments servis participe aussi du prestige de la table pour les différents pouvoirs, notamment à travers l’emploi d’épices en nombre (girofle, cannelle, muscade).

    Il s’agit d’avoir ce que les autres n’ont pas. Lorsque Louis XIV réclame des petits pois en primeurs cultivés dans le potager du roi à Versailles, il montre ainsi qu’il peut tout contrôler, même la nature. Pendant longtemps, le luxe fut une caractéristique majeure des tables des politiques.

    Les mets les plus recherchés, les plus rares, les plus prisés se devaient d’y figurer. Au Moyen-Âge, paons, hérons, cygnes ou marsouins sont présentés comme des mets d’exception, véritables spectacles, lors des banquets princiers comme ceux donnés au milieu du XVe siècle à la cour de Bourgogne par Philippe le Bon puis Charles le Téméraire pour éblouir leurs invités.

    Toutes les institutions politiques assoient leur prestige sur des repas d’apparat. Dans la France du XVIIIe siècle, les corps de ville donnent des banquets où sont présentés les plats à la mode du temps comme des poulardes aux huîtres, des tourtes de pigeons garnies de truffes et de champignons ou des pâtés chauds de bécasses.

    Ils affichent ainsi leur pouvoir et le prestige de la cité. Au moment de la Révolution, ces fastes culinaires suscitent néanmoins des critiques. Les caricatures de Louis XVI le présentent ainsi comme un affameur du peuple contraint de lui fournir les nourritures les plus précieuses (vins de Bordeaux, Champagne, pâtés de canards d’Amiens, etc.).

    Le Ci devant Grand Couvert de Gargantua Moderne en Famille vers 1791. parismuseescollections.paris.fr, CC BY

    Se distinguer

    Les aliments ont une dimension symbolique forte dans une société d’ordres marquée par les hiérarchies. La consommation de gibiers à plumes représente ainsi un trait distinctif des tables des élites politiques de l’Ancien Régime. Les perdrix, les grives ou les cailles sont placées au sommet d’une hiérarchie des aliments fondée, dans une perspective religieuse, sur la proximité avec le ciel. Dictée par un principe d’incorporation et d’élévation spirituelle, leur consommation, comme celle des fruits, est jugée plus raffinée que celle des nourritures qui poussent dans la terre (légumes, tubercules).

    Mais ces oiseaux renvoient aussi aux privilèges nobiliaires et à l’exercice de droits seigneuriaux à travers la chasse, synonyme de pouvoir, qui différencie la noblesse du peuple.

    Cette valorisation gastronomique lorsqu’elle est associée au goût de l’interdit, comme, à la fin du XXe siècle, dans le cas de François Mitterrand et des ortolans (petits oiseaux interdits de chasse, engraissés, puis rôtis qu’il fallait manger en entier), devient l’illustration d’un pouvoir politique hors du droit commun.

    Entretenir ses réseaux d’influence

    Le choix des aliments par et pour les hommes de pouvoir intervient aussi dans l’entretien des réseaux d’influence. Durant l’Ancien Régime, il est ainsi d’usage pour les villes de province d’honorer la famille royale, le contrôleur général des finances, les ministres ou les intendants par des présents en début d’année ou lors de visites officielles.

    Pour les villes, ces dons auxquels sont consacrées parfois des sommes importantes, sont un moyen de s’assurer la protection et la bienveillance des puissants. Chacune offre alors des aliments jugés emblématiques de la gastronomie locale et dignes d’être envoyés à de grands personnages : Périgueux offre ainsi des pâtés de perdrix aux truffes, Bayonne des jambons, Amiens des pâtés de canards, Montélimar des nougats blancs, Reims des vins de Champagne, etc.

    Sous l’Ancien Régime, la ville de Bayonne envoyait ses emblématiques jambons aux puissants pour s’assurer leur protection. Gaizka Iroz/AFP

    La table peut également servir à montrer la cohésion politique de la nation comme lors du célèbre banquet des maires de France dans les jardins des Tuileries à l’occasion de l’Exposition universelle de 1900 en pleine période troublée de l’affaire de Dreyfus et de contestations de la République. Les plats servis aux 22 000 convives symbolisent une démarche fédératrice en rassemblant les plats emblématiques de la grande cuisine française de l’époque (darnes de saumon glacées parisiennes, filet de bœuf en Bellevue) et les aliments qui font la réputation des régions françaises (canetons de Rouen, poulardes de Bresse).

    Cuisine et communication politique

    L’alimentation sert de point d’appui à un discours politique ; elle peut être porteuse d’un message ou bien support de critiques comme contre Louis XVI.

    Les nombreux banquets organisés sous la IIIe République au lendemain de la défaite de 1870 et de la perte de l’Alsace-Lorraine témoignent souvent d’un choix politique des mets.

    Saumons du Rhin ou écrevisses de la Meuse figurent, par exemple, au menu du banquet offert par la ville de Cahors à Léon Gambetta, président de la Chambre des députés le 28 mai 1881. La dénomination des plats sert à ancrer malgré tout les provinces perdues dans la gastronomie nationale.

    Avec la Ve République et la médiatisation des chefs étoilés, les liens entre la cuisine et la politique demeurent toujours très étroits. Suivant les évolutions de l’art culinaire, le luxe et l’abondance ne sont plus seulement les fondements de la distinction. La dimension politique s’exprime surtout dans les valeurs associées aux nourritures choisies. En 1975, à l’occasion de la remise de sa Légion d’honneur par Valérie Giscard d’Estaing, le chef Paul Bocuse crée une soupe aux truffes noires qu’il baptise "Soupe aux truffes VGE" en l’honneur du président.

    Cet épisode montre que l’alimentation des présidents de la République devient un objet politique. Ceux-ci savent alors s’en emparer pour façonner leur image, soit du côté du raffinement et de l’excellence française, soit, à l’inverse, en affichant l’image plus populaire d’un amateur de tête de veau comme Jacques Chirac, promoteur de la cuisine de terroir, expression politique de l’ancrage et de la proximité.

    Aliments et spécialités culinaires deviennent alors support d’une communication politique, plus ou moins maîtrisée, que l’on retrouve des campagnes électorales aux visites médiatiques au salon de l’agriculture.