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livre

  • Le Petit Sapin

    Hans Christian Andersen (1844)

    Dans la forêt croissait un joli petit sapin. Il avait une bonne place: le soleil et l’air y arrivaient en abondance. Autour de lui se trouvaient de grands camarades, des pins et des sapins. Mais le petit sapin était si impatient de grandir qu’il ne prenait point plaisir aux jeux de lumière du soleil, ni au chant et aux mouvements des oiseaux, ni aux nuages flottants qui passaient au-dessus de lui, roses le matin, rouges et pourpres le soir.

    Quand des paysans passaient avec leurs fagots, il les écoutait parler des grands arbres qu’ils avaient abattus, et il soupirait après le jour où il serait assez grand pour être coupé aussi.

    L’hiver venu, la neige couvrait le petit sapin; le lièvre sautait par-dessus lui, ce qui lui était fort désagréable; mais deux hivers passèrent, et au troisième, il était déjà si grand que le lièvre devait le contourner.

    " Oh! grandir, grandir, devenir grand et vieux, c’est la seule chose qui compte au monde! " pensait le sapin.

    À l’automne, les bûcherons venaient abattre les plus grands arbres. Cela arrivait chaque année, et le jeune sapin, devenu assez grand maintenant, tremblait d’émotion; car ces arbres magnifiques tombaient avec fracas et étaient emportés hors de la forêt. Où allaient-ils? Que devenaient-ils?

    Au printemps, quand les hirondelles et les cigognes revinrent, le sapin leur demanda:

    " Savez-vous où l’on emporte ces arbres? Les avez-vous vus quelque part? "

    Les hirondelles n’en savaient rien, mais la cigogne réfléchit, hocha la tête et dit:

    " Oui, je crois bien. J’ai vu bien des navires nouveaux quand je volais vers l’Égypte. Ces navires avaient de magnifiques mâts, et je parierais que c’étaient eux. Ils sentaient le sapin".

    " Oh! si j’étais assez grand pour voguer sur la mer! " soupirait le petit arbre.

    Puis vint Noël. Le sapin était alors très grand, si grand qu’il n’était plus possible de le contourner. Un jour, des hommes arrivèrent avec une hache et une scie. Le sapin tomba à terre avec un cri; il ressentit une douleur aiguë, comme un évanouissement. Il fut transporté hors de la forêt, placé sur une charrette, et conduit en ville.

    Dans une belle maison, on le dressa dans une grande salle. On le décora de pommes dorées, de pains d’épices, de jouets, et l’on fixa sur ses branches des centaines de petites bougies. Jamais le sapin n’avait vu pareille splendeur. Les enfants dansaient autour de lui en criant de joie; le soir, on alluma les bougies, et le sapin brillait de mille feux.

    " Oh! que je suis heureux! " pensait-il". Jamais je n’ai connu pareille journée. Que se passera-t-il demain? "

    Mais le lendemain, on ôta les bougies et les décorations. Le sapin fut relégué dans un coin, puis porté au grenier, sombre et poussiéreux. Là, il resta longtemps, oubliant la forêt, les oiseaux, le soleil et les nuages roses.

    Enfin, on le descendit de nouveau. Il fut fendu en morceaux et jeté au feu. Il crépita et brûla; ses dernières étincelles montèrent vers le ciel comme de petites étoiles.

    Alors le sapin comprit qu’il avait laissé passer le bonheur quand il l’avait eu.

    Il songea aux jours lumineux de la forêt, aux chants d’oiseaux, aux nuages rouges du soir — et il se consuma entièrement.