"Mort sur la ferme! Les paysans sont une race en voie d’extinction, notamment parce qu’ils se suicident à un rythme record." Tel est le message que l’on pouvait lire sur la page couverture du de l’édition du 18 avril de Newsweek. Depuis la crise de la décennie 1980, apprend-on ensuite, le taux de suicide des paysans américains est demeuré deux fois plus élevé que celui de la moyenne de la population. En Inde, 270 000 paysans se sont suicidés depuis 1995. En France, un paysan se donne la mort tous les deux jours. En Chine, les paysans s’enlèvent la vie pour protester contre la saisie de leur terre à des fins d’urbanisation. En Angleterre, la catastrophe de la vache folle a provoqué une cascade de suicides parmi les paysans. En Éthiopie, leur gouvernement les dépouille de leurs terres ancestrales sans même les en aviser : ils apprennent un jour en gardant leur troupeau que leurs terres appartiennent à des Indiens. Dans un article récent de The Guardian, on situe le nombre d’hectares vendus au cours des cinq à dix dernières années entre 56 millions et 227 millions d’hectares, dont 70% en Afrique. Pour fins de comparaison, le territoire de la France est de 55 millions d’hectares.
En Afrique, les données sont encore imprécises, mais on n’exagère sûrement pas en affirmant que l’équivalent de l’ensemble du territoire français été vendu à des étrangers : pays arabes producteurs de pétrole, Européens, Indiens, Américains, Chinois.
Quant au Québec, il ressemble aux États-Unis sur ce point comme sur tant d’autres. "Selon les données disponibles, un agriculteur sur deux serait en détresse psychologique et les agriculteurs québécois sont deux fois plus susceptibles de passer à l'acte que le reste de la population en général.
Les uns mettent en cause les pesticides, d’autres les armes à feu, d’autres les fluctuations du marché, d’autres encore le get big or get out. À cette liste, il faudrait ajouter les effets secondaires des médicaments psychotropes prescrits aux paysans en détresse, mais il ne faut pas demander à un journaliste de Newsweek de formuler une hypothèse si contraire à l’esprit du temps dans son pays.
De toute évidence le mal est plus profond : le paysan n’aime plus son métier depuis qu'on l’a industrialisé et technicisé à outrance brisant ainsi son lien symbiotique et sacré avec la terre.
La terre nourrit. Quand on a de bonnes raisons de penser que la terre empoisonne plutôt que de nourrir, peut-on encore l’aimer? Ce sont des auteurs comme Bernard Charbonneau en France, Wendell Berry aux États-Unis et Roméo Bouchard au Québec, qu'il faut lire pour bien comprendre ce phénomène
Par paysan, j’entends ici non seulement ceux qui travaillent la terre, mais encore ceux qui vivent en symbiose avec un paysage, ce paysage fût-il urbain. Ce second type de paysan est aussi menacé que le premier. Si nous n’avons pas la sagesse d’utiliser les outils virtuels pour nous rapprocher du réel, notre identité risque fort de se réduire à un profil et un visage numériques dégradés en marchandise.